Le sans alcool, un défi relevé

28 Sep Le sans alcool, un défi relevé

Un immense marché à attaquer…

 A ce jour, dans la législation française, une bière sans alcool se définit comme “bière qui présente un titre alcoométrique acquis inférieur ou égal à 1,2 p. 100 en volume, à la suite d’une désalcoolisation ou d’un début de fermentation”, c’est à dire une bière à moins de 1,2% d’alcool. Cette définition est susceptible d’évoluer rapidement, la plupart des pays européens ayant d’ores et déjà fixé la limite à 0,5% d’alcool ou en dessous. Il y a donc un petit peu d’alcool dans une bière « sans alcool ». Comble de l’hypocrisie, nous ne sommes pas contraints d’afficher le taux d’alcool réel si celui-ci est en dessous de 1,2%. 

 Selon Maxime Costilhes, délégué général des Brasseurs de France, cité par Europe1 (a), « En 2020, année désastreuse pour la brasserie, on va avoir une croissance d’environ 15% pour les ventes de bière sans alcool ». Le chiffre est considérable. De son côté, le géant de la bière ABinBev envisage que d’ici à 2025, les bières légères ou sans alcool passeront de 7%  à 20% de ses bières. (b)Et quand on observe à quel point le « dry january », initié en 2013 au Royaume-Uni rencontre des adeptes en France, on ne peut plus nier l’importance grandissante de ces bières pour la filière.

 Seulement, vous l’aurez constaté, ce marché est trusté par les industriels, et peu de petites brasseries artisanales présentent à leur gamme une bière sans alcool.

 La raison en est assez simple, il est difficile, sans d’importants moyens financiers d’en produire. Le matériel permettant la désalcoolisation nécessite un investissement absolument hors de portée, et il ne reste aux brasseries artisanales que l’option du “début de fermentation”. Pour y parvenir, nous, artisans, devons faire jouer tout notre savoir-faire et notre inventivité. Des brasseries artisanales françaises, comme la Débauche à Angoulême, ou encore Edmond à Grenoble s’y sont déjà essayées avec succès. C’est donc possible, bien que peu aisé.

 

… Mais aussi un super défi technique !

   Tout d’abord, et même si ça peut paraître bête, nous devons absolument obtenir un taux d’alcool en dessous de 1,2%. Quand on sait qu’une refermentation en bouteille (vous savez, ce qui permet d’avoir des bulles dans votre bière) fait gagner jusqu’à 0,5% d’alcool au produit fini, la marge de manœuvre est mince. Ensuite, combien de fois n’avons-nous pas entendu «mais c’est de la flotte ton truc» ? Avoir une bière qui a du corps, sans alcool, c’est compliqué. 

Je tente de vous expliquer ça en deux mots : En gros, la céréale qu’on utilise pour faire de la bière permet de produire de l’alcool et du corps. Les deux sont -presque- corrélés. Donc moins d’alcool implique nécessairement moins de corps, ou plus justement moins de perception de corps. Cette perception peut également s’obtenir par l’ajout de sucres (non fermentescibles, attention), mais éliminer l’alcool pour le remplacer par du sucre… Fausse bonne idée ? 

  A ce stade de la réflexion, on commence déjà à se faire des nœuds au cerveau, et pourtant, ce n’est pas fini.

  Car enfin il reste un élément problématique, et pas des moindres : le sacro-saint goût qui nous tient tant à cœur ; Celui de la bière, de la bonne bière même dirons-nous. La fermentation a une influence considérable sur le goût de votre bière. Un petit dicton proclame d’ailleurs que « le brasseur fait le moût, la levure crée la bière ». Ce goût propre à la fermentation et si caractéristique de la bière est le fruit du travail de la levure, qui va transformer et produire des dizaines et des dizaines de composés aromatiques. Seulement, si on restreint son activité, elle va produire moins d’alcool, certes, mais aussi moins de composés aromatiques (du moins en moins grande quantité), et donc moins de goût.

  Alors nous avons rouvert nos livres de biochimie, de microbiologie, de brassage. Nous avons écumé les internets à la recherche d’articles scientifiques traitant de près ou de loin des différentes contraintes qui nous sont imposées. Nous avons réuni toutes les notes accumulées au cours de nos années de brassage. Ces observations empiriques, rigoureusement documentées furent d’une grande aide. Pas de grand laboratoire, ni de centre de recherche à la brasserie ! Un coin de palette, des bouquins, des pages griffonnées, et trois cerveaux en ébullition. De la R&D sauce petit artisan ! Pendant de longs mois, nous avons donc expérimenté, afin de rédiger un protocole de brassage bien spécifique. Et croyez-le ou non, beaucoup d’éléments clés de ce protocole nous sont tout d’abord apparus totalement contre-intuitifs. Fichu manque d’érudition ! Ce protocole, nous l’avons testé, amélioré, jusqu’à obtenir enfin la recette de notre Micro IPA, bière sans alcool à 0,5%.

Le résultat : une bière que nous prenons plaisir à boire, sans culpabilité. Une IPA puissamment aromatique, aux notes de fruits tropicaux zestés d’une touche d’agrumes. En bouche, une explosion de fruits soulignée par une amertume résineuse et maîtrisée. La fin de bouche révèle une délicate note de céréales. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas de la flotte, elle a du corps !

  Le processus de production nécessite une précision chirurgicale, et des prises de mesures nombreuses et régulières. Sur une bière si fragile et précise, la moindre erreur n’est pas permise. N’ayant pas suffisamment d’alcool pour préserver la bière, ni la possibilité de la stabiliser par pasteurisation, chaque lot produit est analysé en laboratoire pour s’assurer de l’exactitude du taux d’alcool et de sa stabilité microbiologique avant sa mise sur le marché.

  Vous expliquer ici comment produire à votre tour une bière sans alcool serait beaucoup trop long et complexe. Nous comprenons votre déception! Mais soyez rassurés, nous travaillons à un article complet sur le sujet, et nous espérons vous le proposer rapidement.

  Quoiqu’il en soit, nous avons pris énormément de plaisir à remettre en cause nos savoirs et à approfondir nos compétences. Nous sommes fiers du résultat obtenu. Tout ce travail nous conforte dans la joie de notre métier d’artisan. Un métier fait de passion, d’expérimentation, de savoir-faire et de découverte.

 

 

(a)   https://www.europe1.fr/economie/cest-un-nouveau-marche-qui-souvre-le-succes-fou-des-boissons-alcoolisees-sans-alcool-4015464

(b)  https://www.liberation.fr/vous/2021/01/03/le-marche-du-sans-alcool-a-le-vent-en-coupe_1810240/



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